mercredi 23 octobre 2013

LE CAS KECHICHE

Le cinéaste Abdellatif Kechiche

Afin de répondre aux polémiques entourant la sortie de "La Vie d'Adèle", Abdellatif Kechiche a publié une tribune sur Rue 89, que vous pouvez retrouver ici.
Suite au caractère exceptionnel de l'affaire et son ampleur, Plog Magazine donne son avis.

Voici une lettre ouverte sous forme de réponse, qui tente de ne s'en tenir qu'aux faits.

"Cher M. Kechiche,

Je suis un nobody du cinéma, un cinéphile anonyme, las de toutes ces polémiques autour de votre film, dont je ne parlerais pas d’ailleurs, car ce n’est visiblement pas le sujet.

Vous affirmez avoir été sauvé par l’obtention de la Palme d’Or, sans laquelle vous seriez aujourd’hui « un réalisateur détruit ». Au contraire, votre palme d’Or (comme toutes les Palmes d’Or) n’a fait qu’attirer davantage l’attention sur votre film. L’obtention de cette récompense suprême expose et soumet au feu des polémiques. Chaque Palme en contient son lot, vous n’êtes pas le premier et ne serez pas le dernier. Il ne s’agit pas de vous, mais du système.
Avec votre film à 4 millions, quoi que l’on ait écrit sur vous, vous ne risquiez rien. À votre place, je craindrai beaucoup plus pour l’avenir cinématographique de Danièle Thompson ou Fabien Onteniente, dont les derniers films sont des fours économiques sans précédents. Et vous êtes très loin du cas de Leos Carax, qui a pourtant réussi son come back. Il y a pire que vous, M. Kechiche.
Concernant les anecdotes de tournage déformées, je n’entretiendrai pas les rumeurs infondées, mais vous êtes de mauvaise foi quand vous affirmez n’avoir « jamais retenu personne ». Vous savez très bien comment fonctionne le monde du cinéma et sa loi du silence. Vous savez pertinemment qu’un technicien qui se plaint et claque la porte a de fortes chances d’être « blacklisté », surtout quand il travaille pour une société de production associée avec Wild Bunch, qui finance 70% du cinéma d’auteur français (et est chaque année omniprésente dans les sélections cannoises). Vous pourrez comprendre par ailleurs que certains techniciens puissent avoir été offensés par le fait de voir La Vie d’Adèle présenté à l’élite du cinéma mondial sans générique de fin. Vous et vos monteurs auriez pu faire cet effort. Les rumeurs ne sortent jamais de nulle part.
Vous tenez ensuite des propos nauséabonds sur l’intermittence, dignes d’un producteur néo-capitaliste. Vous avez l’inélégance de perpétuer l’image caricaturale des intermittents, cette équation intermittents=profiteurs, si ancrée dans l’imaginaire français. Or, vous savez très bien que si une infime minorité d’intermittents abuse du système (en travaillant autant qu’un salarié classique sur l’année mais en étant payé selon la convention collective à la semaine), une très large majorité galère pour trouver du boulot (et, vous l’oubliez, pour vivre : allez convaincre un bailleur en étant intermittent, allez obtenir un prêt en étant intermittent, etc). Car, vous le dites, un réalisateur emmène son noyau de techniciens de film en film et les places pour les nouveaux entrants sont bien rares.
« Les conditions sur un plateau sont loin d’être peu enviables » de votre point de vue, car vous savez très bien que les petites mains qui organisent les films font parfois des journées de 16h, et sur les petits budgets comme La Vie d’Adèle, il n’est pas rare que les heures supplémentaires passent à la trappe des fiches de paies ou que le tarif nuit soit appliqué en tarif jour. Vous devez être au courant de tous les bidouillages qui se font, au niveau comptable, pour l’agrément des comptes au CNC (faux plans de travail, fiches de paies incomplètes, faux contrats), vu que vous êtes désormais producteur. Vous évoquez les salaires de 1 200€ par semaine, et revendiquez « un équilibre financier harmonieux entre tous les acteurs de la chaîne » d’un film. Vous évoquez le salaire des autres, mais permettez-moi de vous rappeler le montant de votre rémunération sur Vénus Noire, d’un montant de 765.000€ (585.000€ de Minimum Garanti et 180.000€ de salaire technicien, ses chiffres étant disponibles sur le Registre Public du Cinéma).
Ainsi, sur ce film budgété officiellement à 10 millions d’euros, vous trustez presque 8% du budget, là où la plupart des auteurs-réalisateurs français ne sont rémunérés qu’à hauteur de 1 à 2% du budget. Il faut noter que vous avez été très bien payé sur un film qui n’a pas du tout marché au box-office. Curieusement, vous n’évoquez pas ce travers du cinéma français dans votre lettre. Il y a plus mal loti que vous.
Vous avez cependant raison d’user de votre droit de réponse pour combattre la calomnie et les rumeurs infondées, le procès sans preuve est devenu, hélas, un travers de notre société spectaculaire, où il faut sans cesse du charbon pour entretenir la machine du présent perpétuel. Mais ne grossissez pas non plus, la fête du cinéma français n’a pas été gâchée pour autant, seulement pour vous peut-être.
Quand aux théories complotistes sur les palmarès précédents, vous avez raison de relever cette manie systématique d’internet d’entretenir des polémiques stériles.
Je ne commenterai pas votre charge méritée contre Léa Seydoux, tant sa façon de cracher dans la soupe est intolérable et insupportable. En revanche, votre manière d’épargner Jérôme Seydoux paraît tout autant opportuniste, après tout, il pourrait produire votre prochain film.
Enfin, permettez-moi, M. Kechiche, de ne pas être en accord avec vous en ce qui concerne l’attaque de vos valeurs. Sachez que le caractère humaniste de vos films ne fait pas forcément de vous un humaniste (et vos propos caricaturaux sur l’intermittence en apportent une preuve). Le paradoxe est l’apanage de l’esprit humain, et vous avez le droit d’être contradictoire. Je ne vous connais pas dans la sphère privée, je ne vous connais pas sur un plateau, mais je sais que les deux situations sont différentes. Une brebis à la maison peut être un loup sur un plateau, vous le savez pertinemment. Après tout, ne dit-on pas des cordonniers qu’ils sont les plus mal chaussés ? 
Vous ne ressortez pas grandi de cette affaire M. Kechiche, le cinéma français, dont vous l’êtes l’un des représentants phares, non plus, car vous l’exposez aux français (qui ont déjà perdu une bonne partie de leur foi en lui) dans tout ce qu’il a de plus médiocre : caprices, mégalomanie, copinage, bidouillages et magouilles.
Cette lettre ne fait que mettre à jour votre susceptibilité mal placée et un comportement d’enfant pourri-gâté. Après 6 César, un Lion d’Or, une Palme d’Or et un film qui cartonne en salles, comment pouvez-vous encore trouver le moyen de vous plaindre, alors que vous êtes (malgré ce que votre paranoïa vous fait croire) l’enfant chéri du cinéma français ? Que devraient dire Luc Besson, Jean-Pierre Jeunet ou encore Guillaume Canet, qui subissent les sarcasmes automatiques d’une critique qui les méprise et d’un système qui les ignore perpétuellement ? Vous avez derrière vous l’intégralité de la presse cinématographique française, et ce, depuis vos débuts (il suffit de regarder les moyennes presse de vos films sur AlloCiné pour s’en convaincre), alors cessez d’être victimaire.
Grandissez et faites des films, c’est ce que je peux vous souhaiter de mieux."